On n'a jamais autant parler de l'Europe et on va encore en parler plus dans les semaines à venir, du fait des élections européennes. Malheureusement, les institutions bruxelloises sont devenues d'une telle complexité que, selon l'expression populaire : "une chatte n'y trouverait pas ses petits". Ceci n'étant probablement pas innocent, comme on peut le découvrir dans un livre remarquable : «Lobbyistes européens» (1), sous-titré : «ONG v/s industries».
En réalité, cet ouvrage va bien au-delà de ses titre et sous-titre, dans la mesure où tous les mécanismes de l'Union européenne y sont démontrés et...démontés. Et cela dans un style et avec un vocabulaire compréhensibles par chacun, très éloigné du jargon eurocratique dont on nous abreuve trop souvent.
Daniel Guéguen, l'auteur de l'ouvrage, est un des plus grands lobbyistes de l'Union européenne où il évolue au plus haut niveau depuis plus de 40 ans. Les compétences de Daniel Guéguen sont reconnues internationalement, puisqu’après avoir enseigné aux universités d’Harvard et Georgetown, il dispense maintenant ses cours au Collège d’Europe.
Les Conseils, les Commissions, les nouveautés absconses, il les a vu défiler les uns après les autres. En ce moment où les tensions autour de l’idée même de l'Europe se multiplient et se durcissent parfois, l'auteur souligne : «Aux eurobéats et aux eurosceptiques, il faut ajouter une troisième catégorie, les pro-européens critiques». C'est évidemment dans cette dernière catégorie qu'il s'inscrit. Ce qui lui permet d’écrire à la fin de son ouvrage qu'aujourd'hui «les lois européennes s'élaborent en toute opacité dans des cénacles fermés sous le nom de trilogue. Elles sont ensuite adoptées sans débat par le Conseil des ministres et le Parlement européen". Ce qui explique son extrême sévérité à l’égard du Traité de Lisbonne: «outre sa complexité, il introduit de l’opacité et fait basculer l’Union européenne dans une sphère bureaucratique où les lois se décident dans des cénacles obscurs».
De la fragilité de l’euro
Analysant la situation de l’euro que l’auteur évoque dès les premières pages de son livre, il écrit : «l’on me permettra de rappeler qu’une monnaie unique exige trois conditions : un marché unique finalisé, une citoyenneté commune et (...) une organisation fédérale, a minima d’inspiration fédérale. L’euro a été lancé sans qu’aucune de ces conditions ne soit remplie». Et, à la fin de son livre Daniel Guéguen en arrive à conclure : «L’euro n’offre plus de mécanisme d’ajustement. La crise grecque est ici pour le rappeler.»
L’auteur revient également sur le problème de la comitologie déjà évoqué dans un ouvrage précédent (2) traité ici à sa sortie de presse. Le tout créant : «l'insécurité économique, financière et juridique qu'une telle procédure génère pour les entreprises. Ce qui empêche évidemment les lobbyistes de faire leur travail» mais aussi plus généralement obère «le travail d'anticipation et une analyse précise du projet de mandat.»
Analysant la différence de manière de travailler entre les lobbyistes opérant pour les industries et ceux qui agissent en faveur des ONG l'auteur constate que les seconds sont nettement avantagés. Parce qu'ils ont parfois accès plus vite à certains documents, disposent de meilleurs relais à la Commission et jouissent d'un appui dans un certain nombre de médias. Bien entendu cette situation implique une remise en question de la manière de travailler des lobbyistes qui agissent pour les entreprises. Ce dont l'auteur ne se prive certainement pas. Soulignant parfois leur manque de réactivité et de vision prospective.
«L’innovation crée le soupçon»
Ce poids exagéré des ONG a des conséquences qui nous concerne tous. Notamment via le sacro-saint principe dit de précaution. Qui, en réalité, menace directement le progrès, comme le souligne Daniel Guéguen : «aujourd'hui, l'innovation crée le soupçon!». Pour mémoire, s’il avait été appliqué en leur temps, Pasteur, Fleming et quelques autres sauveurs de millions d’êtres humains auraient fini en prison.
Le catastrophique Green Deal et la loi sur le climat «sont devenus la priorité numéro 1 de la commission von de Leyen», note Daniel Guéguen. Ce qui bloque toute initiative et tout progrès.
Et l’auteur de poursuivre : «Car le refus de l'innovation dans l'Union européenne - contrairement au reste du monde - nous isole et nous insécurise. Nous n'allons plus de l'avant, nous sommes une société nostalgique, sans énergie, sur la défensive et investissant moins».
Une chape de plomb sur la liberté de penser
Ce qui a conduit à une véritable pensée unique et l'auteur, à la fin de son ouvrage, de poser la question : «Qui, dans la sphère européenne, oserait se déclarer contre le Green Deal ou la voiture électrique, pour les OGM ou le glyphosate? Personne! Il y a à Bruxelles comme une chape de plomb sur la liberté de penser».
L'auteur observe du surcroît que «le Green Deal, priorité numéro 1 de la commission von de Leyen, a porté à un niveau insoupçonné la dictature des consultations (...) Aujourd'hui même, il existe 80 consultations ouvertes, un peu plus de 100 consultations sont programmées à court terme (c'est-à-dire à l'horizon de quelques semaines) et environ 350 à l'horizon de quelques mois».
On imagine aisément la gabegie et la perte de temps que tout cela entraîne.
Et l’auteur d’encore observer les conséquences désastreuses de la multiplication des membres : «L'Union, au fil des élargissements, s'est diluée et a perdu le sens de son action par la domination du bureaucratique sur le politique. Ce glissement aurait pu durer mais le tsunami économique occasionné par la crise sanitaire et le conflit Russie- Ukraine sera d'une telle ampleur que l'intégrité de l'UE n’y résistera pas».
Mais pour Daniel Guéguen, il convient de rester positif : «Loin de tout pessimisme, il faut considérer la crise comme une ressource pour une nécessaire renaissance de l'Europe».
J. Offergeld
(1) «Lobbyistes européens» - Daniel Guégen - VA Editions - Versailles -2023
(2) «Comitologie, le pouvoir européen confisqué» - Daniel Guéguen - Europolitics Ed - Bruxelles - 2010