Mercredi 4 décembre 2024

Quand les sanctions tuent le secteur diamantaire anversois

La situation du marché mondial du diamant a fortement évolué durant le premier quart du siècle : sanctions européennes contre la Russie et leur impact sur le centre diamantaire anversois, montée de Dubaï comme centre mondial du diamant, l'Inde comme leader de la taille et l'impact des diamants synthétiques.

Le marché mondial du diamant traverse une période de bouleversements sans précédent, influencé par des facteurs géopolitiques, économiques et technologiques. Les sanctions économiques imposées par l'Europe à la Russie ont profondément affecté la chaîne d'approvisionnement en diamants. De ce fait, Dubaï émerge comme un nouveau centre incontournable du commerce diamantaire, tandis que l'Inde maintient sa position de leader dans la taille des diamants. Enfin, l'essor des diamants synthétiques bouleverse les paradigmes traditionnels de l'industrie.

Les sanctions européennes contre la Russie et leur impact sur Anvers

Depuis le début des tensions géopolitiques entre la Russie et l'Occident, notamment avec l'invasion de l'Ukraine, l'Union européenne a imposé des sanctions économiques sévères, touchant divers secteurs, y compris celui des diamants. La Russie est le deuxième producteur de diamants, représentant plus de 30 % de l'approvisionnement mondial, principalement par le biais de la société d'État, Alrosa. Les sanctions ont entraîné l’arrêt des exportations de diamants bruts russes vers l'Europe et principalement vers Anvers qui a perdu cette année 38 % de son chiffre d’affaires. Ajoutons une administration écrasante et compliquée qui ressemble de plus en plus à Kafka des années noires de l’URSS.

Anvers, qui a longtemps été le principal centre de commerce de diamants mondial ressent les effets immédiats de ces sanctions. Ce qui va irrémédiablement entraîner une perte d'environ un millier d’emplois dans le secteur. Les négociants en diamants d'Anvers, qui dépendent largement des importations de diamants bruts russes, se trouvent ainsi confrontés à des pénuries d'approvisionnement. En d’autres mots, la Russie n’a aucun problème pour écouler sa production.

C’est le début de l’exode des grands négociants vers Dubaï, Mumbaï et Hong Kong où il n’y a aucune sanction.

De plus, la réputation d'Anvers en tant que centre mondial est mise à l'épreuve, car les acheteurs internationaux pourraient eux aussi se tourner vers des marchés moins réglementés. En revanche, la réputation d’Anvers comme centre «plus blanc que blanc» où les marchandises sont 100% sous contrôle légal, officiel, où l’origine des diamants et leurs financements sont sous un contrôle strict des instances gouvernementales, pourrait attirer les grandes maisons de marques qui, noblesse oblige, protègent anxieusement leurs réputations.
Ainsi place Vendôme, Genève et New York auraient plutôt tendance à continuer à s’approvisionner à Anvers.

La montée de Dubaï comme centre mondial du diamant

Depuis une dizaine d'années, Dubaï a connu une ascension fulgurante en tant que plaque tournante du commerce des diamants. Plusieurs facteurs ont contribué à cette montée, notamment des politiques fiscales favorables, des infrastructures modernes et un emplacement stratégique qui facilite le commerce entre l'Orient et l'Occident. La création du Dubaï Multi Commodities Centre (DMCC) a également joué un rôle crucial en offrant un environnement commercial attrayant pour les négociants en diamants.

Avec l'incertitude entourant les diamants russes, de nombreux négociants d'Anvers, comme déjà écrit, envisagent de relocaliser leurs opérations à Dubaï, attirés par des réglementations plus souples et des opportunités de marchés plus larges. La flexibilité et la rapidité des transactions à Dubaï, combinées à une forte demande en Asie, en font un concurrent sérieux pour Anvers. Si cette tendance se poursuit, on pourrait assister à un déplacement significatif des flux commerciaux de diamants vers Dubaï, redéfinissant ainsi le paysage du commerce diamantaire mondial.

L'Inde : le plus grand centre de taille du diamant

Au courant des «golden sixties», Anvers et la Campine comptaient environ 30.000 tailleurs. Actuellement, il n’en reste que quelques centaines. A la fin du siècle passé, l’Inde a repris définitivement le secteur de la taille avec environ 800.000 tailleurs à Mumbaï et Surat.

L'Inde demeure ainsi le leader incontesté dans le domaine de la taille des diamants. Plus de 90 % des diamants taillés dans le monde sont façonnés dans le pays. Les villes comme Surat sont réputées pour la fabrication en masse des petits brillants, combinant techniques traditionnelles et technologies modernes. L'Inde bénéficie également d'une main-d'œuvre abondante et d'un coût de production imbattable, ce qui lui permet de maintenir une position de force sur le marché. Anvers se spécialisant dans la taille des diamants exceptionnels, haut de gamme, et investit dans les nouvelles technologies, de la taille automatique à l’utilisation du rayon laser à tous les stades de la fabrication, ainsi que des programmes d’ordinateurs pour la fabrication de plus en plus performants.

Relations avec Dubaï

Alors que Dubaï aspire à devenir le centre le plus important du négoce, l'Inde joue un rôle clé dans la chaîne d'approvisionnement en fournissant des diamants taillés aux négociants et aux bijoutiers du monde entier. Les relations entre l'Inde et Dubaï se renforcent, ce dernier servant, d’une part, de plaque tournante pour la distribution de diamants taillés indiens vers des marchés émergents et, d’autre part, devenant un centre de distribution du diamant brut. Parallèlement, les négociants d'Anvers continuent de s'approvisionner en diamants taillés en Inde et d’autres centres de taille moins importants en Extrême Orient, soulignant la complémentarité des rôles de ces deux marchés.

L'impact des diamants synthétiques

L'émergence des diamants synthétiques, produits en usine, a eu également un impact considérable sur l'industrie. Offrant une alternative soi-disant éthique et moins coûteuse, ces diamants séduisent de plus en plus de consommateurs, en particulier les jeunes générations soucieuses de leur empreinte écologique, bien que la production des diamants synthétiques nécessite des pressions énormes (70.000 kg au cm2) et des températures de plus de 1.000°C, étant produits dans des énormes «casseroles à pressions» (Hautes pressions et haute températures ou HPHT) ou dans des gros fours à micro-ondes (Chemical Vapor Deposition ou CVD) qui «bouffent» une énergie suffisante pour desservir des agglomérations urbaines.

Les diamants synthétiques représentent désormais une part croissante du marché, bien que les prix aient chuté à près 99% du prix des diamants naturels. Les diamants synthétiques n'ont aucune valeur intrinsèque et sont déjà sertis dans des bijoux en or 9 carats et même dans des bijoux en polymères (plastique).

Nous voyons là une ressemblance flagrante avec les rubis et les saphirs synthétiques du début du 20e siècle. Vers les années 1905, des rubis synthétiques, procédé Verneuil, sont vendus comme naturel à Genève, car ce sont des corindons (oxyde d’aluminium) colorés par du chrome pour le rubis et du fer et du titane pour le saphir, tout comme dans la nature. Une fois la supercherie découverte, il reçut le nom de rubis de Genève et les journaux de l’époque annoncèrent la fin du rubis naturel ! Depuis, les valeurs des rubis naturels ont atteint des valeurs énormes, dépassant parfois celle du diamant naturel. Aujourd’hui les rubis synthétiques Verneuil se retrouvent en masse dans la bijouterie fantaisie, en or plaqué, argent ou autres métaux dorés.

Réactions de l'industrie

Face à cette évolution, l'industrie des diamants naturels doit réagir. Les campagnes de marketing axées sur l'authenticité et la rareté des diamants naturels sont de plus en plus courantes. Les diamants naturels se sont formés, il y a plusieurs centaines de millions d’années à des profondeurs de plus de 200 km où règnent des pressions et températures apocalyptiques. C’est à la suite des phénomènes d’éruptions volcaniques et de subconduction des plaques tectoniques qu’ils sont parvenus à nous. C’est cette fabuleuse histoire qui dépasse toutes les imaginations qui fait du diamant naturel une pierre exceptionnelle, transmise de génération en génération, tout en gardant sa valeur intrinsèque.
Comment le comparer avec un produit sortant d’une usine, après quelques heures ou jours, d’usines «pompant» 24 sur 24 et 7 jours sur 7 !
De plus, les initiatives visant à garantir la traçabilité et l'origine éthique des diamants naturels avec les réglementations du «Kimberley process» des Nations Unies, sont appliquées, afin de répondre aux préoccupations des consommateurs.

Eddy Vleeschdrager