Pour Keynes, l’or était une “relique barbare”. Il aurait dû mieux se renseigner. Et aurait ainsi pu observer que le culte des reliques reste très vivace chez nombre de croyants de diverses religions...
Soyons sérieux. Au cours de l’année 2019, le cours de l’or a flambé. Le métal jaune connaissant une hausse de quelque 20%. Et cela alors que les bourses, de leur côté, enregistraient dans l’ensemble des hausses considérables. Ceci contre toute la tradition boursière qui veut que la hausse des unes entraîne généralement la baisse des autres et vice-versa.
Pourquoi ce mouvement soudain ?
En ce qui concerne les bourses, la réponse est relativement facile à apporter. Il y a d’une part la bonne santé de l’économie américaine (chômage au plus , indépendance énergétique grâce aux gaz et pétrole de schiste, etc.) et d’autre part la politique de taux nul ou même négatif des banques centrales européenne et japonaise. La Fed, de son côté, se montrant un peu moins laxiste mais son taux d’intérêt ne couvre que partiellement l’inflation. Quoi qu’il soit, en Europe, conserver son argent sur un carnet de dépôts revient à en perdre, une fois l’inflation prise en compte.
Mais c'est évidemment la politique de quantitative easing (rachats massifs des obligations d’Etat) par les BCE et Fed qui ont été les moteurs des bourses et ...de l’or. Qu’on le veuille ou non, cette politique qui vise à (plus ou moins...) protéger les banques et à amortir les dettes colossales de la plupart des pays occidentaux ainsi que du Japon est inflationniste. Même si on essaie de le cacher.
Dans ce contexte d'”argent facile”, il est évident que plutôt que de perdre de l’argent avec des taux négatifs, les investisseurs sont tentés par la bourse. D’où les hausses observées l’année dernière. Mais, en même temps, une partie des investisseurs, méfiants quant à la solidité des banques et des monnaies et connaissant le vieil adage boursier qui veut que “les arbres ne montent pas jusqu’au ciel”, s’est tournée vers l’or.
Achats massifs de la Russie et de la Chine
Mais, même si cet “argent facile” et une volonté des investisseurs de répartir les risques ont pu jouer en faveur de l’or, ils sont loin de justifier certains achats massifs observés. En réalité, au cours des derniers mois, ce sont surtout des États qui ont été les plus gros acheteurs nets sur le marché du métal jaune. Et pas n’importe lesquels : La Chine et la Russie ! Ainsi, au cours des seuls six premiers mois de 2019, les achats russes ont augmenté de 94 tonnes et les chinois de 74 tonnes, par rapport à la même période de 2018.. Et cela, bien que la Russie soit productrice et vienne de consentir d’énormes investissements dans l’exploitation de nouvelles mines en Sibérie orientale. C’est ainsi que l’exploitation des mines de Natalka a considérablement augmenté le production russe. A cela, il faut encore ajouter l’accord russo-chinois portant sur l’exploitation commune des champs aurifères à l’air libre de Klutchevskoïé, dans la région de Tranbaïkalie.
A cela, il faut ajouter que le mouvement d’achat massif d’or ne se limite aux seules grandes puissances. Ainsi, au cours du premier semestre 2019, la Pologne a augmenté ses réserves de 100 tonnes.
Pourquoi ?
Pourquoi ce soudain engouement de plusieurs Etats et, en particulier, de puissances comme la Chine et la Russie ? Les explications sont multiples et peut-être plus complémentaires que contradictoires.
Il n’est plus secret que de nombreux pays visent à se libérer, au moins partiellement, de leur dépendance à l’égard du dollar pour leurs transactions internationales. Ce qui ne sera certainement pas aisé dans la mesure où le fait pour les États-Unis de pouvoir emprunter sur les marchés internationaux dans leur propre devise leur donne un atout majeur. Qu’ils ne sont pas prêts à accepter de perdre. Néanmoins, ils ont déjà dû tolérer l’euro qui permet aux pays de sa zone de se passer du billet vert dans leurs transactions internes. De leur côté, les Russes et les Chinois ont conclu un accord pour payer leurs échanges dans leurs devises (rouble et yuan) et ainsi se passer du dollar. Du côté du FMI, d’aucuns évoquent l’idée de la création d’une nouvelle monnaie qui serait partiellement adossée à un panier de devises mais aussi à l’or. Le tout étant évidemment de déterminer le pourcentage de ce dernier dans cet éventuel panier.
On assiste donc à un réel retour en grâce de la “relique barbare”. Ce qui pourrait prouver à la fois une méfiance des investisseurs classiques à l’égard des monnaies, des actions et surtout des obligations et une volonté d’états (et non des moindres) de se protéger d’un crise systémique où l’or apparaîtrait comme LA valeur refuge. Ou même d’en profiter pour changer en leur faveur l’ordre monétaire hérité de Bretton Woods et (qui sait ?) de revenir peu ou prou à une forme d’étalon-or.
Jacques Offergeld