Les lecteurs des “Cahiers de la Semaine” ont pu constater, au fil des années, que je n’écris jamais à la première personne. Par respect pour eux. Aujourd’hui pourtant, je suis obligé de déroger à cette règle. En effet, évoquer la personne de Luc Beyer, ami de très longue date, alors que les souvenirs me submergent, que tant d’images défilent devant mes yeux, et feindre de prendre de la distance ne serait ni sérieux, ni correct.
Nous nous connaissions depuis une quarantaine d’années. Et, en dehors de nos rencontres en Belgique, nous nous sommes retrouvés au Congo au moment des événements de Lubumbashi, au Maroc durant la Marche verte, en Argentine et au Brésil, à l’époque des dictatures militaires et en bien d’autres endroits plus tranquilles, heureusement.
Luc avait l’énorme qualité de ne jamais se prendre au sérieux et de pratiquer une auto-dérision que bien peu des téléspectateurs qui l’ont suivi pendant 18 ans de JT, auraient pu imaginer. Il était même capable de facéties dont les moindres ne furent pas de porter une “casquette Bigeard” durant la Marche verte ou de se revêtir d’un poncho et d’un sombrero devant la plaque indiquant l’entrée du petit village de Tintin à plus 4.000 mètres d’altitude dans les Andes, voulant ainsi jouer à Zorino.
Ceci sans oublier ses pastiches des discours de de Gaulle auquel, par ailleurs, il vouait une grande admiration. Point qui, à l’instar du conflit israélo-palestinien, nous divisait et entraîna entre nous des débats interminables. Mais toujours amicaux et évidemment dans le respect de l’opinion de l’autre.
Luc avait, mine de rien, l’art de réaliser les rencontres les plus improbables. Comme celle de cet ancien député communiste argentin, interviewé dans le hall de l’hôtel Plaza de Buenos-Aires en pleine période de dictature militaire.
Chose encore moins connue, il joua un rôle aussi secret que déterminant dans la résolution de l’affaire Greenpeace. Ce pourquoi la France lui attribua la Légion d’Honneur.
Ce qui précède ne doit pas cacher que Luc pouvait se montrer intransigeant quand il pensait défendre une cause juste. Quitte à le payer très cher...
En politique
S’il fut avant tout journaliste et écrivain, son activité politique fut constante. Conseiller provincial de Flandre orientale, conseiller communal de Gand pendant quatorze ans, il le fut ensuite à Uccle, jusqu’en 2012. Mais ce fut au Parlement européen qu’il put donner pleinement toute sa mesure. Hyper actif dans les commissions Maghreb et surtout Machrek, il s’efforça de tisser des liens entre les dirigeants de ces régions et l’Europe.
Au cours des ses déplacements au Moyen-Orient, Luc avait petit à petit pris fait et cause pour les Palestiniens. Au point de prononcer un discours particulièrement virulent, il faut le reconnaître. Ce qui entraîna une rupture avec Jean Gol, ami d’Israël, qui l’écarta de la liste du PRL aux élections européennes de 1989. Étant assez proche de Jean Gol, je tentai une médiation. Mes efforts furent vains. Aucun des deux ne voulant faire de concessions.
Jusqu’à la fin de sa vie, Luc garda la nostalgie des années passées au Parlement européen. Pour autant, il ne se découragea pas. Reprit sa vieille valise en aluminium, toute cabossée, qu’amicalement nous avions baptisée “la bétaillère”, vu le volume qu’elle pouvait contenir, et repartit à la rencontre tant des grands de ce monde que des plus humbles.
Il aura été fidèle à sa vocation de globe-trotter jusqu’au bout. Comme nos lecteurs ont pu le constater dans notre dernier numéro où il faisait une analyse pointue de la situation entre l’Iran et l’Arabie saoudite dont il revenait.
Il n’y a plus qu’à espérer que “l’autre monde” dans lequel il est passé soit assez vaste pour lui.
Jacques OFFERGELD