Soudainement, pour que la Turquie lève son veto à l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN, les réfugiés politiques kurdes et autres opposants au gouvernement de Recep Erdogan sont devenus des terroristes infréquentables, susceptibles d'être livrés au gouvernement d’Ankara. Avec le sort peu enviable que l'on imagine qui les attend.
Tout cela pour renforcer l’OTAN et surtout « punir » la Russie d’essayer d’annexer le Donbass. Mais, en oubliant qu’un pays de la même OTAN, à savoir la Turquie, occupe militairement et a annexé de facto depuis des décennies un tiers de Chypre. Et, là, pas de guerre, pas de sanctions, pas de représailles ! Rien ! « Circulez, il n’y a rien à voir »... Normal ?
C’est surtout, une nouvelle fois, la preuve que les Occidentaux pratiquent sans vergogne la politique de deux poids et deux mesures.
Depuis 1974 jusqu’à aujourd’hui, la Turquie occupe de manière tout à fait illégale le nord de l'île de Chypre. A l’époque, après quelques condamnations de pure forme, personne n'a réellement réagi. Pas d'armes, encore moins de troupes, pour se porter au secours des Chypriotes. La Turquie n’est-elle pas membre de l’Otan et surtout ne détient-elle pas la clé du Bosphore ? Chypre a donc été brutalement amputée du tiers de son territoire. C’était dommage mais, en réalité, à l’exception de la Grèce, personne ne s’en est vraiment inquiété dans les chancelleries.
Et ce n’est pas tout. Depuis des décennies, l’aviation militaire turque viole impunément l’espace aérien grec (nous en avons été témoin), fait des manœuvres dans les eaux territoriales de ses voisins, menace des navires français, etc. Et la communauté internationale (OTAN et UE comprises) ferme pudiquement les yeux. Tout comme personne ne s’étonne de ce que la Turquie vende des drones à l’Ukraine, tout en achetant des missiles russes.
On peut dès lors, se demander pourquoi l’Europe est au bord de la guerre avec la Russie pour protéger l'Ukraine mais n’a jamais rien fait pour permettre à un de ses membres (1) de récupérer ses territoires volés et annexés par la Turquie. Que certains veulent même intégrer dans l’UE.
Terroristes ou simples opposants politiques ?
D'autre part, on peut s'interroger sur le problème des réfugiés politiques exigés par Recep Erdogan.
De deux choses l’une : soit, le Kurdes réclamés par Ankara sont vraiment des terroristes et, dans cette hypothèse, il y a lieu de les juger et de les condamner, si les accusations sont avérées. Soit, il s’agit de vrais réfugiés qui n’ont commis aucun délit et sont simplement poursuivis parce qu’opposés à la dictature d’Erdogan. Et, dans ce cas-là, il est honteux de les envoyer à la torture et/ou la mort pour permettre à la Finlande et la Suède d’entrer dans l’OTAN. Agir de la sorte, c’est aller dans le sens opposé à la raison d’être intrinsèque de cette dernière. De plus, c’est oublier que les Kurdes ont été des alliés fidèles dans la guerre contre l’Etat islamique avec lequel en revanche la Turquie entretenait (et entretient toujours) des relations plus qu’équivoques.
« Selon que vous serez puissant ou misérable… »
Tout ce qui précède revient à dire que, pour l’UE et les États-Unis, la Turquie a plus d'importance que Chypre et peut donc tout se permettre. Et inversement que les Chypriotes ne comptent pas. Et que le “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes” est un principe aléatoire, susceptible d’être brandi ou enterré en fonction de l’agresseur. Voilà une nouvelle preuve de la pérennité de La Fontaine et de ses “Animaux malades de la peste”.
Pourtant, que l'on sache, Chypre fait partie de l'Union européenne. Ce qui n'est pas le cas de l'Ukraine. D'autre part, les autorités du gouvernement légal de Chypre, à savoir celui de Nicosie, sont démocratiques. Ce qui n’est pas tout à fait le cas de M. Zelensky qui ne s'est pas gêné pour jeter en prison des députés de l'opposition russophones, pourtant régulièrement élus. Tout comme « on » a jeté un « manteau de Noé» sur sa présence dans les « Panama papers » qui montrent ses liens avec des hommes d’affaires douteux (oligarques ?) et une fraude fiscale non négligeable.
Dans ce contexte, on peut s’interroger sur les raisons qui poussent les Européens à torpiller leurs économies, déjà massacrées par les confinements absurdes lors la crise du coronavirus, à mettre en danger l’avenir de leurs pays pour l’Ukraine, sans être capables de faire rendre son dû à Chypre ? Un Chypriote vaut-il moins qu’un Ukrainien ?
Quant aux pays baltes, à la Pologne et autres pays voisins de l'Ukraine qui espèrent, en cas de conflit, pouvoir compter sur un appui massif des Etats-Unis, ils feraient bien de se souvenir de ce qui est arrivé aux Sud-Vietnamiens en 1975 et aux Afghans, l’été dernier... Pour mémoire, de tous temps, l’opinion publique américaine a toujours été isolationniste. Et, cela, les responsables politiques d’Outre-Atlantique le savent parfaitement ; de quelque couleur politique qu’ils soient.
Jacques Offergeld
(1) Chypre est membre de l’UE depuis 2004 et de la zone euro depuis 2008