Les bruits de bottes que l’on entend à la frontière russo-ukrainienne sont certes inquiétants. Mais, de là à y voir les prémisses d’une troisième guerre mondiale, il y a un fossé à ne pas franchir.
Pour une raison très simple : le président russe est dans une telle position de force économique qu’il peut mettre l’Europe (et en particulier l’Allemagne) à genoux sans tirer un coup de fusil. Selon un rapport d’Eurostat, 40,4 % des importations de gaz de l’ensemble de l’Union européenne viennent de Russie. Et l’Allemagne, pour répondre aux besoins de ses centrales électriques, dépend, selon les années, de 50 à 75% des livraisons de gaz russe. La bêtise de la sortie du nucléaire, cela se paie cash… On pourrait d’ailleurs écrire la même chose de pays comme la Belgique.
Si l’Allemagne est dans une position de dépendance extrême à l’égard de Gazprom, des pays comme l’Italie, la Grèce, la Bulgarie et même la Turquie (hors UE) sont aussi très dépendants du gaz russe, comme on a pu le constater quand les livraisons ont été suspendues pendant deux semaines au moment du conflit russo-ukrainien de 2009.
Si Gazprom « coupait le robinet »
Dès lors, il suffirait à Gazprom de «couper les robinets» pour qu’en moins de trois mois, l’Union européenne et en particulier l’Allemagne se trouvent dans une situation de pénurie. Particulièrement en hiver et surtout s’il est rigoureux. On observera qu’en cette matière, les Russes ont déjà tiré un coup de semonce en coupant les livraisons pendant quelques heures le 12 décembre dernier.
Seule la France qui a su préserver son parc nucléaire, ne serait que peu impactée par une coupure des livraisons russes. Et l’idée du président Macron de développer de nouvelles petites centrales nucléaires ne pourra que renforcer l’indépendance énergétique de son pays et, conséquemment, le mettre en position de force face à ses voisins qui vont manquer d’électricité. Les énergies vertes dont ils se gargarisent étant une vaste fumisterie au rendement coûteux et aléatoire dont l’inefficacité n’est plus à démontrer, particulièrement en ce qui concerne l’éolien.
Au cours des derniers mois, les conséquences politiques de cette dépendance allemande a pu être constatée. Il a suffi que le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, menace de fermer le pipe line qui traverse son pays pour que l’on voit Mme Merkel se précipiter à Minsk pour tenter de calmer le jeu. Plus près de nous, la semaine dernière, dès que Vladimir Poutine a menacé implicitement de «couper le robinet», on a vu le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholz, demander à ses partenaires européens de «faire preuve de sagesse» (sic) dans les menaces de rétorsion à l’égard de la Russie et d’insister pour que l’on retire de l’ordre du jour la proposition d’exclure la Russie du système de paiement international, SWIFT.
Plus d’espoir du côté américain
Surtout que si l’Europe peut compter sur les livraisons norvégiennes (18%) et algériennes (11,8%), elle ne pourra plus compter sur celles des Etats-Unis. En effet, grâce à la politique de développement massif des gaz et pétrole de schiste, Donald Trump avait non seulement rendu son pays autarcique en ces matières mais en avait fait un exportateur net. Malheureusement, Joe Biden a cru opportun de faire fermer ces sources d’énergie pour des raisons environnementales, détruisant ainsi des dizaines de milliers d’emplois, ruinant les épargnants qui y avaient investi leurs économies et rendant à nouveau son pays dépendant des pays producteurs d’hydrocarbures. De ce fait, ce ne sont pas les Américains qui pourraient pour tout ou partie compenser une cessation des livraisons russes. Reste la Qatar. Mais là le gaz doit être traité pour être acheminé ce qui augmente encore son prix. Qui a déjà explosé.
Evidemment, un arrêt des livraisons de gaz par les Russes, leur causerait des pertes financières très considérables. Ce faisant Gazprom (et donc le gouvernement russe) prendrait un risque considérable. Avec toutefois un élément à observer : au cours de l’année dernière, le prix du gaz a sextuplé. Ce qui a permis à la compagnie russe de faire des bénéfices colossaux qui ont été cantonnés pour pouvoir faire face à un éventuel arrêt (temporaire ?) des livraisons à l’Ouest. De plus, la Banque de Russie a elle aussi cantonné des milliards de dollars pour faire face à cette éventualité.
Moscou voudra garder le Donbass
Au plan militaire, il est pas certain que les Russes tentent de s’emparer de l’ensemble de l’Ukraine. Même s’il semble que le dernier discours de Vladimir Poutine sur l’unité historique des peuples russe et ukrainien ne permet pas d’éliminer totalement cette hypothèse. En revanche, il est plus probable qu’ils voudront simplement en faire un pays neutre. Donc non membre de l’EU et surtout de l’OTAN. En revanche, leur soutien à la république autoproclamée du Donbass, russophone, paraît inévitable et inébranlable. Tout comme le maintien de la Crimée dans le giron russe, point sur lequel Moscou ne cédera jamais. C’est son seul accès aux mers chaudes. Et, là au moins, Poutine est sûr d’avoir l’ensemble de son peuple derrière lui. On peut donc raisonnablement espérer que le conflit restera circonscrit dans cette région. Pour le plus grand malheur des populations locales, évidemment.
Le point vraiment inquiétant
Néanmoins, il reste un point plus inquiétant : la volonté russe de voir de facto désarmés certains de ses anciens satellites de l’empire soviétique, tels que la Roumanie, la Bulgarie et surtout les pays baltes, façade maritime sur la Baltique. S’agit-il d’un simple moyen de pression pour empêcher l’Ukraine d’entrer dans l’UE et surtout dans l’OTAN ? Ou, au contraire, cela révèle-t-il une volonté réelle de recréer un glacis autour de leur pays pour le protéger de ce que les Russes ressentent comme une tentative d’encerclement ? Difficile de répondre à cette question. Il est vrai que l’armée russe a été très fortement renforcée au cours des dernières années et que Moscou sait très bien que Joe Biden n’est pas prêt à envoyer beaucoup de troupes en Europe, surtout après la déroute d’Afghanistan. Ce ne serait pas accepté par son opinion publique qui, aujourd’hui comme hier, est très isolationniste. Et d’ailleurs sa promesse d’envoyer «prochainement» un «petit nombre» de soldats en Europe a le mérite de la clarté. Il ne s’agit pas d’un engagement massif. Quant à M. Johnson qui veut un développement militaire important, il cherche surtout à se servir du problème ukrainien pour essayer de faire oublier les menaces qui pèsent sur son maintien au 10 Downing Street, suite à ses non-respects du confinement..
Un conflit armé ne servirait personne
En conclusion, il est probable que l’on trouvera une voie moyenne pour éviter un embrasement qui n’est de l’intérêt d’aucune des parties en présence. Et surtout on ne voit pas pourquoi Poutine lancerait une guerre sanglante et coûteuse contre des pays qu’il peut économiquement mettre à genoux en trois mois. Et ceci du fait de leur propres choix énergétiques malencontreux. Le seul vrai risque est que, dans une situation particulièrement tendue, un «dérapage» inattendu ou même incontrôlé dans l’un ou l’autre camp ne déclenche le pire. Espérons qu’il n’en sera rien.
J. Offergeld