Dimanche 24 novembre 2024

Ukraine : à quoi jouent les États-Unis?

Si l'agression de l'Ukraine par la Russie est évidemment condamnable et totalement injustifiable, cela n'empêche pas de se poser un certain nombre de questions face à l'attitude pour le moins ambiguë des États-Unis (mais aussi de certains Européens) au cours des derniers mois.

Il y a d’abord le fait que les Occidentaux (et pas seulement les Américains) sont plutôt mal placés pour condamner l’attaque d’un pays pour le dépecer. N’ont-ils pas fait exactement la même chose dans l’ex-Yougoslavie où, en 1998-1999, ils ont noyé la Serbie sous un tapis de bombes, sans le moindre mandat international, pour en définitive créer un pseudo-état islamo-mafieux (le Kosovo) par ailleurs non reconnu par la communauté internationale, ni même par certains membres de l’Union européenne (1). On pourrait aussi évoquer la Guerre de Libye, elle a aussi lancée sans mandat international, et qui a plongé ce pays dans un chaos dont il ne semble pas prêt de sortir (2). Sans parler du soutien ambigu apporté à des adversaires de Bachar El Assad, pourtant notoirement connus pour être des islamistes radicaux. Il va de soi que si ce peu glorieux passé ne peut évidemment en aucun cas justifier l’actuelle attaque contre l’Ukraine, il devrait néanmoins imposer un minimum de décence et de réserve à ceux qui ont participé à ces boucheries tout aussi illégales et cruelles que celle que mène actuellement Vladimir Poutine.

Quand Biden, Trump et Macron laissent les mains libres à Poutine

Pour en revenir à la récente attitude des États-Unis à l’égard des Ukrainiens, on ne peut que constater une ambiguïté dont le dirigeant russe a largement profité. Affirmer officiellement que pas un seul soldat américain ne sera envoyer en Ukraine, ne revenait-il pas à dire à Vladimir Poutine qu’on lui laissait les mains libres dans ce pays ? Mais l’actuel président américain est loin d’être seul responsable de cette situation. Donald Trump n’avait-il pas déclaré que l’OTAN était “obsolète” (sic) et Emmanuel Macron que “L’OTAN est en mort cérébrale” (resic) ?

Vladimir Poutine © Pixabay

Si la déroute connue par l'administration Biden en Afghanistan, déroute d'ailleurs préparée par Donald Trump qui avait négocié avec les talibans derrière le dos du gouvernement légitime de Kaboul, il n'en reste pas moins que l’on peut s’interroger sur la fiabilité des soutiens américains à leurs “amis”. Surtout que ce n'est pas la première fois qu’à l'instar de De Gaulle avec les harkis, ils les abandonnent sans état d’âme. Et tant pis pour eux s’ils tombent entre les mains de tortionnaires comme les communistes vietnamiens ou les égorgeurs du FLN. Souvenons-nous de Saïgon, des Kurdes d’Irak, des anticastristes, etc. Sans oublier des alliés fidèles comme le Shah d’Iran ou les contras au Nicaragua.

L’exclusion de Swift est-elle l’“arme absolue” ?

Au point de vue économique, on peut aussi s'interroger sur l'attitude des Américains. Certes, ils espèrent, comme les Européens, obérer fortement l’économie russe par l'exclusion des banques russes du système SWIFT. Ce qui est beaucoup moins certain que l'on veut nous le faire croire. En effet, si cette exclusion va gêner pendant un certain temps le monde financier et économique de la Russie, il existe des systèmes susceptibles de contourner ces sanctions. Le premier est de revenir aux outils utilisés avant que Swift et Internet n’existent. Ils sont moins rapides mais peut-être moins facilement piratables. Ou, en tout cas, sur une moindre échelle. D'autre part, Moscou dispose déjà sur son territoire d'un système plus ou moins semblable à Swift, le SPFS. S’il fonctionne entre environ 300 unités financières russes, il reste très loin d’avoir l'ampleur mondiale de Swift. De leur côté, les Chinois ont développé un système similaire de transmission financière, le CIPS, déjà largement utilisé dans l’Empire du Milieu. Et, depuis 2018, Moscou et Pékin travaillent à une intégration des deux systèmes. Avant même le début du conflit en Ukraine, les dirigeants russes et chinois avaient déjà annoncé leur intention de donner la priorité à accélération de cette fusion. Le nouvel utile ainsi créé pourrait être susceptible d'intéresser un certain nombre de pays non-alignés qui souhaitent se libérer de la tutelle du dollar. Donnant ainsi un poids économique mais aussi politique supplémentaire à l’axe Moscou-Pékin. Et, chose à ne pas oublier : Russes et Chinois ont, depuis plusieurs années déjà, renoncé à payer leurs échanges en dollars et le font dans leurs monnaies nationales.

Information complémentaire non négligeable : au moment où ces lignes sont écrites, les États-Unis continuent à acheter un million de barils/jour de pétrole à la Russie et à les payer... par Swift ! Comme quoi les “sanctions” ne sont pas semblables pour tout le monde !

Ce sont les pauvres qui vont payer les sanctions

Quant aux autres sanctions prises contre la Russie, elles ont un côté masochiste. Pour “punir” la Russie, les dirigeants occidentaux vont ruiner leurs économies et donc leurs compatriotes ! La dépendance de l’Europe et de l’Allemagne en particulier à l’égard du gaz et des céréales russes ne va pas disparaître du jour au lendemain. Et, même si l’on arrive à trouver d’autres fournisseurs, ce sera à des coûts bien plus élevés. Les prix vont donc encore plus flamber. Et ce seront les plus faibles qui en subiront le plus durement les conséquences. Accélérant ainsi la hausse de l’inflation en Europe qui est déjà galopante, suite aux mesures absurdes prises pour soi-disant lutter contre la Covid. Dont, aujourd’hui, plus personne ne peut honnêtement contester qu’elles ont été parfaitement inutiles. Les confinements dictatoriaux, les campagnes de vaccinations massives et quasiment obligatoires et autres mesures liberticides n’ont servi à rien. La crise est occupée à s’éteindre parce l’immunité collective naturelle s’est créée grâce à la rapidité du développement du variant Omicron. Exactement comme nous l’avions écrit dès le début de la pandémie.

Néanmoins, le “quoi qu'il en coûte” (camouflé par les uns ou avoué avec cynisme et même fierté par Emmanuel Macron) a un prix. Que les peuples des pays qui en ont été victimes vont payer pendant des décennies.

Pour en revenir à l’attitude américaine, non contente d’être douteuse à l’égard des Ukrainiens, elle ne l’est pas moins à celui des alliés européens. S’il prenait demain l’envie à Poutine d’attaquer la Pologne ou les pays baltes, ce ne sont pas les 7000 GI’s envoyés en renfort qui pourraient les arrêter.

Mais c’est toutefois en matière énergétique que les Américains manquent le plus de solidarité avec leurs alliés. En effet, il suffirait que Joe Biden abroge les législations (qu’il a imposées) interdisant l’exploitation des gaz et pétrole de schiste pour que non seulement les États-Unis redeviennent autarciques mais puissent rapidement compenser une part très significative des livraisons russes à l’Europe. Certes, le coût serait plus élevé (du fait de la nécessité de compression et du transport) mais cela éviterait de se trouver en rupture d’approvisionnement si les Russes coupaient les livraisons. Le président américain pourrait aussi autoriser la réouverture du gazoduc reliant le Canada aux États-Unis, ce qui accélérerait encore un rééquilibrage du marché au profit des Occidentaux. Mais, uniquement pour ne pas heurter l’aile écolo-gauchiste de son parti, il n’en fait rien. A moins qu’il préfère favoriser les intérêts des émirs du pétrole qui ont largement financé sa campagne électorale...

En effet, se cacher derrière des prétextes environnementalistes pour ne pas rouvrir les champs pétrolifères et de gaz de schiste est évidemment ridicule dans la situation actuelle. Et, de toute façon, une fois pour toutes, il serait raisonnable de considérer que le climat de la Terre a de tous temps changé et évolué et qu'il le fera dans les siècles à venir. La question n'est donc pas de vouloir s'opposer à ces changements climatiques inévitables, ce qui est impossible, mais de s'y adapter comme nos ancêtres l'ont fait depuis des millénaires.

L’Europe seule responsable de sa dépendance énergétique

Car, dans ce contexte de dépendance énergétique du Vieux Continent, avant de critiquer les Russes, les Américains, les Chinois ou ...les Martiens (pourquoi pas ?), les Européens feraient bien de faire leur mea culpa. Et de reconnaître qu’ils sont seuls responsables de leur dépendance énergétique. Ainsi, Emmanuel Macron a interdit toutes les recherches de gisements de gaz de schiste en France. Alors qu’ils sont là et ne demandent qu’à être exploités. Sait-on que dans l’ensemble de l’UE, il y a des gisements de gaz et pétrole de schiste en Suède, Autriche, Pologne, Hongrie, Bulgarie, Roumanie et au Danemark. Hors UE, on peut ajouter la Grande-Bretagne.

A cela il faut ajouter, l’abandon du nucléaire qui est non seulement non polluant, mais garantit des prix et productions stables. En y renonçant, les Allemands se sont délibérément mis sous le joug des Russes, comme nous, l’avons déjà largement expliqué. On pourrait écrire la même chose des Italiens et des Belges.  Ce renoncement est d’autant plus absurde que les centrales actuelles sont plus sécurisées que celles de première génération et qu’il existe aussi la possibilité de construire des centrales au thorium qui ne présentent quasiment aucun des inconvénients des centrales classiques.

L’honnêteté intellectuelle oblige à reconnaître qu’Emmanuel Macron est le seul dirigeant européen qui semble avoir enfin compris l’absolue nécessité de développer l’indépendance énergétique grâce au seul outil réellement efficace : l’atome.

© Pixabay

Si ce qui est évoqué ci-dessus permet de légitimement s'interroger sur la stratégie des Américains à l'égard de l' Europe et de se demander si leurs belles promesses de soutien inconditionnel dans le cadre de l'OTAN seraient tenues si demain un ou plusieurs de ses membres étaient attaqués, les Européens auraient toutefois intérêt à se remettre en question et à adapter leurs politiques de Défense, de santé publique et surtout énergétique en fonction des vraies priorités.

Jacques Offergeld

(1) L’Espagne, la Grèce, Chypre, la Roumanie et la Slovaquie.

(2) Ceci sans pour autant pleurer l’élimination d’un tyran comma Khadafi