BRICS : razzia sur le pétrole

Quand on analyse avec un peu de recul le sommet des BRICS qui s'est tenu à Johannesburg à la fin du mois dernier, on constate que, contrairement à ce que certains milieux occidentaux on dit et écrit, les pays membres de cette association ont marqué des points importants. Et, plus particulièrement, dans le contrôle des matières premières les plus importantes et l’évolution vers une partielle dédollarisation.

L'arrivée de six nouveaux membres doit être vue sous l'angle de ce qu'ils apportent à l'association. Quatre des six nouveaux arrivants (l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, l'Iran et, dans une moindre mesure, l'Égypte) sont producteurs de pétrole. Ce qui fait qu'à partir du moment où ces nouveaux pays seront membres à part entière des BRICS (le 1er janvier 2024), ces derniers représenteront, selon le Center for Strategic and International Studies, 42 % de la production mondiale de pétrole. À cela, il convient d'ajouter que l'Éthiopie et l'Argentine disposent d'importantes réserves de pétrole non encore exploitées. Si l'on sait que le Nigeria a demandé son accession à l’organisation, on constate qu'une fois que ce dernier sera entré, les BRICS contrôleront près de 60% du pétrole produit dans le monde. Leur razzia sur l’or noir est donc difficilement contestable.

Il n’y a pas que le pétrole

Dans un autre secteur des matières premières, l’Argentine est le deuxième producteur de lithium du monde et l’Ethiopie vient d’inaugurer récemment ses premières exploitations de ce produit absolument incontournable pour les batteries électriques. Exigées par la transition écologique que l'UE nous impose arbitrairement. Petit détail important : l’Éthiopie est devenue l’atelier africain de la Chine pour ne pas écrire sa colonie...

Autre élément à ne pas oublier, l'Argentine est également un important producteur de produits alimentaires : céréales et viande. Ce qui, dans le cadre de l’actuelle guerre d'Ukraine, n'est pas négligeable.

Ceux qui avaient annoncé que ce sommet de Johannesbourg verrait l'apparition d'une nouvelle monnaie des BRICS ont été un peu vite en besogne. En revanche, la course à la dédollarisation a bien progressé.

Très discrètement, la Chine continue à produire du pétrole (© China.org)

Si, comme l’a souligné le président sud-africain, la création d’une monnaie commune «n'était pas à l'ordre du jour», on en a néanmoins (beaucoup) parlé. En cette matière, la déclaration publique de Xi Jinping a été particulièrement claire. «Il faut promouvoir la réforme du système financier et monétaire international», a-t-il affirmé. Comme si cela ne suffisait pas, à peine son adhésion acquise, le ministre des Finances des Émirats Arabes Unis a annoncé le souhait de son pays de financer une recapitalisation de la banque des BRICS, la New Development Bank. Enfin, le président brésilien Lula est revenu avec insistance sur la nécessité de créer une monnaie commune aux BRICS. Brandissant même la menace d'avancer unilatéralement dans la création d'une devise latino-américaine unifiée, si cela devait trop traîner.

Si Lula veut accélérer la création d’une monnaie commune aux BRICS, Modi freine. (© Wikipedia)

La seule voix discordante dans cet ensemble de pays qui veulent la création d'une monnaie BRICS est venue du Premier ministre indien, Narendra Modi, qui a clairement marqué une certaine réserve. Ce qui est tout à fait logique dans la mesure où il veut éviter que la Chine s'impose comme la puissance majeure de l'éventuelle nouvelle devise.

La dédollarisation avance

Toujours au plan monétaire, au cours de la réunion de Johannesburg, il a été décidé que le paiement des matières premières en monnaies nationales et non plus en dollars serait accéléré et augmenté. Ainsi, la Chine paiera dorénavant l'ensemble de son pétrole acheté à l'Arabie Saoudite en yuans. Et les Émirats Arabes Unis devraient annoncer la même chose dans les prochaines semaines. Ce faisant, les Chinois gagnent sur les deux tableaux. Ils dédollarisent leurs échanges et, en même temps, augmentent potentiellement leurs exportations. En effet, les Saoudiens, Emiratis, etc. vont se trouver à la tête de milliards de yuans. Et devront bien les dépenser dans l'Empire du Milieu. Qui, payant sa suicidaire politique de confinement, se trouve actuellement dans une situation économique relativement précaire. Notons encore que la Bourse de Shanghai développe ses propres cotations de matières premières. De surcroît, le paiement en or, pour les pays non-membres, est encouragé, à l’instar des échanges entre le Ghana et les Emirats Arabes Unis.

Prétoria lâche Poutine

En revanche, pour Vladimir Poutine, il y a eu un incontestable revers politique. A partir du moment où le gouvernement sud-africain a annoncé qu'il ne pouvait pas garantir sa sécurité et qu’il risquait d’être arrêté dans le cadre du mandat d'arrêt lancé par la Cour pénale internationale, il y a eu un lâchage de Pretoria à l'égard de Moscou. Montrant que l'Afrique du Sud, bien que favorable à la Russie, n'a pas voulu (osé ?) défier ouvertement les Occidentaux.

Quoi qu’il en soit, on peut donc considérer que le sommet de Johannesburg a été un succès pour les BRICS. Et, en particulier, pour les Chinois.

Néanmoins, si les avancées en matières économique et financière sont incontestables, des divergences politiques plus ou moins profondes se maintiennent.
En conclusion, le sommet de Johannesbourg montre que la dynamique des BRICS est bien enclenchée et qu’une structure économique et financière, concurrente à celle de l’Occident, non seulement existe mais se développe rapidement. Et qu’il faut se préparer à l’affronter. En sachant que les priorités de ses membres sont très différentes de celles des Occidentaux. Plus pragmatiques et pas obligatoirement compatibles à long terme.

Jacques Offergeld