Pour éviter toute discussion, toute interprétation biaisée ou tout procès d’intention, il doit être clair que l'agression de la Russie contre l'Ukraine est évidemment condamnable et doit être sanctionnée.
Pour autant, comme nous l'avons déjà écrit, est-il acceptable que les Européens appliquent des sanctions qui, à l'analyse, se révèlent beaucoup plus nocives pour leurs économies que pour celle du pays qu’ils prétendent sanctionner ?
Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, ce conflit n’intéresse que les belligérants et leurs alliés. Pour l’écrasante majorité des pays de la planète, il s'agit avant tout d'une guerre entre Blancs qui ne les concerne que dans la mesure où ses effets collatéraux sont occupés à ruiner leurs économies et, pire, à les conduire tout droit à la famine.
Si l'on regarde la liste des pays qui ont décidé d'appliquer des sanctions contre la Russie (parfois avec un certain laxisme), on trouve les nations suivantes : États-Unis, Union européenne, Grande-Bretagne, Australie, Canada, Japon, Monténégro, Norvège, Nouvelle-Zélande, Taïwan, Saint-Marin Singapour, Corée du Sud, Suisse et Liechtenstein.
Ce qui, comparé au reste du monde, est très modeste. En effet, quand on voit que des nations aussi importantes que la Chine et l'Inde continuent à entretenir des relations commerciales normales avec Moscou, quand il ne s'agit pas d'un réel soutien comme c'est le cas de la part de Pékin, on peut se poser des questions.
Le président de l’Union africaine demande la levée des sanctions pour les produits alimentaires
Surtout si l'on ajoute à ces deux superpuissances que l'ensemble de l'Amérique latine ignore les sanctions, qu'il en est de même de l'écrasante majorité des autres pays d'Asie, sans parler de l'Afrique. Qui, elle, n'hésite pas à envoyer le président du Sénégal, Macky Sall, actuellement président en exercice de l'Union africaine, négocier directement avec Vladimir Poutine. A la sortie de cette rencontre, dans une interview à TV5 Monde, M. Sall a clairement demandé aux Occidentaux de lever les sanctions portant sur les matières alimentaires. Et de souligner : "Les sanctions contre la Russie ont entraîné plus de gravité, nous n'avons plus accès aux céréales venant de Russie, mais surtout aux engrais. Cela crée vraiment de sérieuses menaces sur la sécurité alimentaire du continent"
La position de l'Afrique est donc claire et unanime.
A cela, il faur ajouter que, parmi ces pays qui ignorent les ukases occidentaux, il est quelques poids lourds dont les moindres ne sont pas l'Afrique du Sud et le Brésil. A noter que, dans ce dernier pays, tant le président en place, Jair Bolsonaro, que son principal adversaire, Lula da Silva, sont bien d'accord pour ne pas appliquer de sanctions et protéger au maximum l'économie de leur pays.
Les tankers russes dans la rade de Mumbai
Quant à l'efficacité réelle de ces sanctions… Si l’on peut en effet constater une légère baisse de la production pétrolière russe (environ un million barils/jour), s'il est vrai que certains produits ont disparu des commerces, Moscou a néanmoins déjà trouvé de nouveaux clients. C'est ainsi que notre correspondante à Mumbai souligne que les pétroliers russes font la file à l'entrée de la rade de ce grand port indien. Et il n'est pas secret que le gouvernement de Delhi profite de l'occasion pour augmenter ses réserves à prix bas dans la mesure où il a renégocié les tarifs en dessous du cours OPEP. Du côté de cette dernière, si elle a accepté d'un petit peu accroître sa production, on est à la moitié des augmentations demandées par les Européens et les Américains. On voit très bien que les pays producteurs ne sont pas du tout mécontents de la situation actuelle qui maintient le cours du brut à un niveau élevé et donc augmente considérablement leur marge bénéficiaire.
Le rouble se redresse
Une autre preuve de l'effet relativement faible des sanctions est la flambée du rouble (qui a atteint son niveau le plus élevé depuis 4 ans), alors qu’il s’était effondré au début du conflit. Et concomitamment la baisse significative de l'euro non seulement par rapport à la monnaie russe mais également par rapport au dollar, au yen et même au yuan. Ce qui tend à montrer que la confiance des marchés monétaires ne va pas dans le sens de l’UE.
Dans le même temps, les échanges entre la Russie et le reste du monde (hors pays sanctionneurs) ont continué à se maintenir à peu près normalement, sauf évidemment en ce qui concerne les céréales. Bloquées en même temps par le blocus des ports de la mer Noire par la flotte russe et le minage des eaux territoriales ukrainiennes par les responsables de Kiev.
Si, par malheur, la famine qui semble se dessiner dans le monde entier et, plus particulièrement dans les pays du Tiers-Monde, devait se concrétiser, il est à craindre que les Occidentaux en soient tenus pour responsables. On sait qu’ils n'ont pas bonne réputation dans le reste du monde. Ce dont les Russes et les Chinois ont profité. Les premiers ont repris pied au Mali et au Burkina Faso, tandis que les seconds ont fait de l'Éthiopie une véritable colonie. Quant à l'Amérique latine, il n'est pas nouveau que les Américains n'y sont guère appréciés.
Qui est isolé ?
Dès lors, parler, comme le fait Emmanuel Macron, de l'isolement de la Russie paraît un peu léger. Si l'on fait le total des pays qui ont appliqué des sanctions et de ceux qui ne l'ont pas fait, que l'on mesure leurs poids économiques respectifs, force est de constater que ce ne sont nullement les Russes qui sont isolés mais plutôt ceux qui sont occupés à les sanctionner pour le plus grand malheur de leur propre population qui va se retrouver en manque de plein de produits de première nécessité.
Avec toutefois une différence majeure entre les Américains et les Européens. Les premiers auront, grâce à leur production nationale, des réserves de blé suffisantes pour ne pas connaître la moindre disette. D’autre part, leur industrie de l'armement et toutes celles (acier, chimie, informatique,...) qui sont en amont de cette dernière vont largement profiter des retombées du conflit actuel. En effet, en encourageant les pays de l'ancien Pacte de Varsovie à fournir à l’Ukraine tout le vieux matériel militaire d'origine russe dont ils disposaient, ils ont vidé leurs arsenaux. Qui devront évidemment être réapprovisionnés. Avec quoi ? Avec du matériel américain bien entendu. Donc tout bénéfice pour l’économie et l’emploi US.En revanche, du côté européen, la situation est beaucoup plus dramatique. On sait déjà à quel point l’UE est dépendante du gaz et du charbon venant de Russie et d'Ukraine. Ceci en grande partie parce que l'on a renoncé au nucléaire (à l'exception de la France) que l'on s'est lancé à grands frais dans des énergies renouvelables inefficaces et ruineuses, que l'on a refusé d'exploiter les gaz et pétrole de schiste dont le sol européen regorge, etc.
Ceci sans oublier évidemment la folle gestion de la crise du covid. Car il est incontestable que si l'on n'avait pas paralysé les économies européennes pendant des mois avec des confinements et des mesures pseudo-sanitaires absurdes, la situation financière de la plupart des pays d'Europe serait nettement moins catastrophique qu'elle ne l'est. Le “quoi qu’il en coûte” a un prix ! Très élevé. Et, chose oubliée mais très importante, si la Politique agricole commune avait été axée sur la priorité à l’autosuffisance nutritionnelle de l’Europe, nous n’en serions pas à pleurer pour avoir des céréales russes ou ukrainiennes.
Un entêtement suicidaire
Mais le pire dans tout cela est que les dirigeants européens n’ont pas l’air de comprendre qu’ils conduisent le Vieux Monde dans un mur. Et que ce sont eux qui s’isolent. Notamment, en continuant à donner la priorité à des politiques environnementales économiquement suicidaires, par ailleurs ignorées dans le reste du monde. Et qu'en apparaissant (à tort ou à raison) comme les responsables de famines dans les pays pauvres, ils risquent fort de nourrir des animosités déjà latentes. Et donc de jeter ces nations dans les bras de Moscou et Pékin.
Jacques Offergeld