Personne ne peut dire, au moment où ces lignes sont écrites, comment va se terminer la guerre d'Ukraine. Il est probable que l’on en reviendra au contenu des accords de Minsk, augmenté d’un couloir russophile reliant le Donbass à la Crimée. Et probablement à une neutralisation plus ou moins camouflée du pays. Bien sûr, tout peut encore basculer à tout moment. Et malheureusement le nombre de morts et de personnes déplacées continuer à croître.
En revanche, une chose est certaine : il y a déjà un vainqueur : la Chine. Dans la mesure où tant la Russie que l’Europe ne peuvent que sortir fortement affaiblies de cette guerre, que les Etats-Unis n’ont pas pu (ou voulu ?) jouer leur rôle de “gendarme du monde”, que les Européens avaient déjà préalablement ruiné leurs économies par la gestion calamiteuse, mortifère et dictatoriale de la crise de la Covid, Pékin se trouve de facto en position de force. Qui risque d’encore se renforcer si les Occidentaux, en aggravant les sanctions, poussent les Russes, de gré ou de force, dans les bras (la dépendance ?) des Chinois.
Ce qui confirme ce que nous écrivons depuis des années: l'axe du monde a basculé de l'Océan Atlantique au Pacifique. Il n’y a évidemment pas lieu de s’en réjouir mais c’est devenu une évidence.
Ruinés par les confinements
Quelques chiffres, antérieurs à l’attaque russe en Ukraine, montrent à quel point les économies européennes avaient déjà été ravagées par la gestion de la crise de la Covid. Selon le ministre français des Comptes publics, Olivier Dussopt, les pertes générées par les politiques de confinement ont coûté 140 milliards d'euros à la France auxquels il convient d'ajouter un manque à gagner en TVA de plus de 100 milliards d'euros. Si l’on sait que la gestion ahurissante de la crise par le gouvernement Draghi en Italie a fait des ravages encore supérieurs, si l’on ajoute les déficits créés en Allemagne, Belgique, Hollande, etc., on imagine à quel point les situations financières de la plupart des pays d'Europe occidentale étaient déjà catastrophiques. Et cela, rappelons-le, avant les événements d'Ukraine.
Des sanctions boomerang
Vinrent ensuite les sanctions prises contre la Russie après l'attaque de l'Ukraine. Certes, il eût été difficile pour les Européens de rester sans réagir devant cette dernière. Il y allait de leur crédibilité. Mais, pour autant, fallait-il imposer aux Russes des sanctions qui sont occupées à se révéler encore plus nocives pour ceux qui les imposent que pour ceux à qui elles sont imposées ? Dans un certain nombre de cas, c'est pourtant le cas.
Surtout que, jusqu’à présent, les mesures de représailles économiques russes sont restées assez modérées. Mais qu’en serait-il (comme nous l’avons déjà souligné) si demain Gazprom cessait d'approvisionner l’Europe en gaz ? En quelques mois (semaines ?), les économies allemande, italienne, grecque, bulgare, etc. seraient tout simplement paralysées.
Quand Pékin profite des sanctions occidentales
C’est là que Pékin “rafle la mise”. Xi Jinping, dont le pays connaît un relatif déficit énergétique, ne serait que trop heureux d'augmenter ses achats de gaz russe à un prix probablement inférieur au cours mondial, puisqu'il deviendrait de facto le plus gros (si pas le seul) client de la Russie. Et aurait ainsi un moyen de pression sur elle. Il en est de même pour toute une série de produits agricoles. Qui, de ce fait, disparaîtraient des marchés européens et africains.
Surtout qu’un nouvel élément stratégique (et non des moindres) vient de s’ajouter à ce tableau déjà sombre. Il y a quelques jours les Russes ont montré qu'ils disposent d'armes hypersoniques dont il semble qu’apparemment les Européens et les Américains soient actuellement dépourvus. Ce qui évidemment peut poser des problèmes géostratégiques et des rapports de force d'une nouvelle ampleur. Et donner un avantage militaire à Moscou. A noter que la Chine dispose aussi d’armes de ce type. Et que la Corée du Nord affirme en détenir, sans que la chose soit prouvée.
La stagflation à nos portes
Mais, même sans cet élément nouveau et plus qu’inquiétant, les Européens doivent s'attendre à voir leurs conditions de vie considérablement se détériorer. Ceci sans parler de l'inflation déjà galopante avant les sanctions contre la Russie qui risque bientôt d'échapper à tout contrôle malgré les hausses des taux d’intérêt envisagées par les banques centrales. En clair, ce n'est même plus l’inflation qui menace l’Europe mais la stagflation. Alors que pendant ce temps, l'économie chinoise reste florissante. Et lui permet non seulement d’imposer son modèle mais à s'implanter avec un grand succès en Afrique. Principal réservoir de matières premières du monde…
Pékin impose son modèle totalitaire au reste du monde
Si la guerre d’Ukraine renforce la position de l'Empire du Milieu dans le monde, les Chinois avaient déjà remporté une première victoire au moment de la crise de la Covid. En effet, plus personne de raisonnable ne peut contester que le fléau n’y soit apparu, que les autorités de Pékin ont tout fait pour cacher la chose et n’ont averti que trop tardivement le reste du monde. Ce qui, en passant, permet de maintenir ouverte la question de l'origine réelle du virus... Naturelle ou humaine ?
Ensuite, les Chinois ont réussi à imposer leur modèle de gestion totalitaire à une majorité des autres pays du monde et en particulier aux nations qui se prétendaient démocratiques et qui, dans un climat de panique savamment entretenu, ont bafoué leurs principes moraux et constitutionnels les plus élémentaires. Il suffit de se rappeler des confinements, des encouragements à la délation, des vaccinations rendues quasiment obligatoires avec des produits pour le moins aléatoires, etc. Comme ces dictatures pseudo sanitaires ont été acceptées par ceux qui ont eu à les subir, cela montre le peu d'importance qu’une grande partie des Occidentaux accorde aux principes qu'ils prétendent défendre. Et même exporter…
Pire encore, certains responsables politiques ont profité de la panique créée artificiellement par la crise de la Covid pour faire voter des textes liberticides qui engagent l’avenir. Le cas de la Belgique est intéressant à observer. Le ministre Vandenbroucke dont la relation avec la démocratie est très relative (tout comme elle l’est avec la l'honnêteté, comme le montre son passé) a fait voter un texte appelé “loi pandémie” qui accorde à tout gouvernement le droit de suspendre toutes les libertés civiles, d’instaurer une surveillance électronique des citoyens, etc. s'il le juge nécessaire. Vu à l’aune du comportement des dirigeants belges (mais aussi français, italiens, luxembourgeois, néerlandais, etc.) il devient ridicule d'encore parler de pays démocratiques. En tout cas, tant qu'elles n'auront pas été abrogées.
Pékin a imposé “en douce” à une grande partie de l’Europe son modèle totalitaire. Victoire psychologique et politique remarquable.
Quand Pékin manipule les chiffres
Mais le plus extraordinaire c'est que le gouvernement chinois a réussi ce tour de force par une extraordinaire manipulation des chiffres. Non contents d'avoir réussi à imposer leur modèle de gestion dictatorial à des pays prétendument démocratiques, de mettre au point et exporter un système de surveillance constante des individus, ils ont réussi à préserver leur économie. En ne pratiquant pas eux-mêmes la politique économique catastrophique qu’ils affirmaient largement utiliser. En effet, contrairement à ce qu’ils ont fait croire aux Occidentaux qui n’y ont vu que du feu, il n'y a qu'une partie infime du territoire chinois qui a été confinée. Quand on nous dit que, dans la province de Wuhan, il y a eu 50 millions de personnes confinées, cela veut dire que 96,3 % de la population chinoise ne l'a pas été ! Et donc que, dans l’écrasante majorité du pays, l'économie a continué à fonctionner normalement. On est loin des confinements généralisés de l’Europe occidentale, de certains États américains ou de l'Australie. Tout est une question de proportion. Ce qui explique pourquoi le PIB chinois n'a en définitive été que très modestement impacté par la crise de la Covid.
Ukraine : Pékin compte les coups
A l'ouverture des Jeux Olympiques d’hiver, on avait assisté à une rencontre plus qu’amicale entre Xi Jinping et Poutine. Et les deux hommes avaient confirmé leur volonté de faire avancer leur union financière (1). Le but des deux parties étant de réduire le poids du dollar dans les transactions internationales.
Pour ne pas indisposer son hôte, Vladimir Poutine a attendu la fin des JO pour lancer son offensive en Ukraine.
Toutefois, il n'a pas fallu longtemps pour voir que le soutien de Pékin à Moscou dans cette opération n'était pas aussi “solide comme le roc” que les deux dirigeants avaient bien voulu le faire croire En effet, devant l'Assemblée générale des Nations Unies la Chine (tout comme l’Inde) s'est abstenue. Moscou ne pouvant compter que sur quatre alliés : la Biélorussie, la Syrie, l'Erythrée et la Corée du Nord.
Autrement dit, la Chine n’a nullement l’intention de s 'engager à fond du côté de la Russie. Elle va profiter de son inévitable affaiblissement économique, généré à la fois par le coût de la guerre d’Ukraine et des sanctions occidentales, pour lui apporter un soutien économique qu’elle monnaiera en matières premières et peut-être en échange d'un soutien diplomatique dans le cas d'une éventuelle invasion de Taïwan. Elle va aussi freiner d'hypothétiques intentions russes d’étendre le conflit d’Ukraine hors de ce pays car Pékin ne peut pas se permettre de voir l'Europe, son premier client,déjà bien mal en point, devenir complètement exsangue. De plus, les Chinois n’ont nul désir de voir partir en fumée leur projet de “nouvelle route de la soie” qu'ils élaborent méthodiquement depuis des années et dont la construction va s'accélérer du fait de la décrépitude européenne. Certains pays étant obligés de “vendre les bijoux de famille” pour survivre. Rappelons le précédent de la Grèce avec le Pirée.
Car, même s'il est vrai qu’aujourd’hui la stratégie économique des dirigeants chinois est de privilégier leur marché intérieur plutôt que de tout miser sur les exportations, ils sont encore loin de pouvoir s’en passer totalement.
Jacques Offergeld
(1) Voir sur le même site : “Ukraine, à quoi jouent les Etats-Unis?"